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À propos...
Beaucoup de personnes me demandent ce qui a bien pu me pousser, à cinquante-cinq ans bien tassés, à me lancer dans une aventure de galeriste à laquelle rien ne semblait a priori me destiner. Pourquoi maintenant, pourquoi ici, à Minerve et puis surtout, pourquoi faire ?
Se pose tout d’abord la question de la légitimité. Car à moins d’être né dans ce milieu ou d’avoir eu une vocation précoce, il faut avoir arpenté pendant quelque temps les chemins de la vie pour savoir à quel univers on appartient, ce que l’on est capable de faire partager non seulement parce que cela nous touche et nous émeut, mais surtout parce que cela nous ressemble.
Ma vie professionnelle m’a mené aux quatre coins du monde. Elle m’a fait rencontrer des gens de toutes cultures, de toutes conditions, couleurs et religions avec lesquels j’ai travaillé. Au-delà de la découverte de l’autre, le travail apporte aux hommes le goût de l’effort commun dans lequel ils se révèlent. Et ce n’est qu’après l’effort, une fois nos œuvres posées bien à plat sur la table, que l’on peut prendre le temps de les regarder pour les apprécier.
C’est très précisément ce à quoi le philosophe allemand Hegel faisait allusion lorsqu’il déclarait en 1821 : « C'est dans la maturité des êtres que l'idéal apparaît en face du réel et, après avoir saisi le même monde dans sa substance, le reconstruit dans la forme d’un empire d’idées. Lorsque la philosophie peint sa grisaille dans la grisaille, une manifestation de la vie achève de vieillir. On ne peut pas la rajeunir avec du gris sur du gris, mais seulement la connaître. La chouette de Minerve ne prend son envol qu’à la tombée de la nuit. »
A l’instar du philosophe qui n'a effectivement aucune prise sur le présent et ne peut saisir que ce qui a été accompli, je ne me sentais pas légitime d’afficher ce qui m’était donné ou que je prenais tant que j’étais dans le temps de l’action. J’ai passé trente-cinq ans à essayer de façonner le monde, voire même de le changer avant d’accepter que bien évidemment, c’était lui qui m’avait changé.
Curieusement, c’est à l’âge où l’on voit ses enfants quitter le nid que l’on se sent plus jeune qu’eux. Et puis je me suis rappelé que lorsque, petit, je jouais aux dominos avec ma grand-mère, on avait le droit de créer une nouvelle branche à partir d’un double. Je crois bien qu’elle trichait. Quoi qu’il en soit, à l’âge du double-cinq, j’ai choisi de créer une nouvelle branche tant que la vie me donne la force de pousser de nouvelles portes pour me laisser surprendre encore, frémir d’autres embarquements, m’abandonner à de nouveaux imaginaires… et de vous faire partager le voyage.
Mon père avait ouvert une galerie d’art à Grasse en 1974 qu’il avait très modestement appelée la Chipot International Galerie. Que ce soit l’époque, le lieu, les artistes, les clients curieux, les vernissages qui s’éternisaient jusque tard dans la nuit, tout prêtait alors à la joie, à la démesure, à la pétillance et à l’insouciance. C’est depuis cette date que l’enfant qui a grandi au milieu des zincs cloutés de Fernand Michel, des collages de Boggs ou des assemblages d’Armand Avril associe irrémédiablement l’art à la joie.
« L’art lave notre âme de la poussière du quotidien » disait Picasso. Elle en a bien besoin en ces temps troubles où la misère, la maladie et la guerre font leur retour fracassant.
Je me suis installé dans le Minervois en 2019, au cœur d’origines familiales séculaires. Emblématique de Minerve, la tragédie cathare me parle puisque je m’étais attelé, il y a une trentaine d’années de cela, à l’écriture d’une vie romancée du dernier parfait, Guillaume Bélibaste. C’est donc depuis cette sentinelle de pierre que j’entame cette nouvelle aventure, peut-être la dernière, sans doute la plus belle. La galerie elle-même est un lieu hors du temps, une alliance entre le métal, le bois, le verre et la pierre millénaire. Elle nous extrait instantanément de toute temporalité.
Natif de Nice à l’époque où son école faisait florès, et entouré des œuvres des « papes de la récup’ » depuis mon enfance, c’est sans surprise que mon cœur incline vers cette forme d’art, de surcroît parfaitement en phase avec les exigences écologiques de notre époque. C’est ce qui explique que mon choix se soit d’abord porté sur Alain Wundrack pour ouvrir le bal des expositions de La Chouette.
Mais il ne faut pas tenter de récupérer la récup’ pour s’en faire une religion et, ponctuant les expositions permanentes d’artistes essentiellement locaux, les expositions temporaires seront l’occasion tant de rencontres avec des artistes contemporains émergents, sculpteurs, peintres ou photographes, que d’hommages rendus à des artistes plus confirmés.
Voilà le décor planté. C’est avec impatience et émotion que je vous invite à partager mon univers en espérant qu’il devienne un peu le vôtre, ne serait-ce que l’espace d’une visite.
Jean-Marc Chipot
Minerve, le 8 mars 2022